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30.10.2023
Évolution de la pratique

Télémédecine : "l’avenir est à la combinaison présentiel/distanciel"

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Ancien président de la Société Française de télémédecine, membre fondateur de l’académie Francophone de télémédecine et de e-santé, le Dr Pierre Simon fait partie des précurseurs de ces nouvelles pratiques en France. Il nous livre sa perception de l’état des lieux de la télémédecine en France.

Docteur Simon, vous êtes un des précurseurs de l’utilisation des technologies numériques dans les pratiques de soins. Cela fait des années qu’on en parle : la télémédecine décolle-t-elle enfin ?

Si on reprend l’histoire, le premier programme de télémédecine 2010-2015 s’est traduit par une multiplication des expérimentations avec les Agences régionales de Santé, et en particulier celle d’Ile de France, qui contractualisaient avec des plateformes de téléconsultation.

Les choses ont bougé ensuite avec la signature de l’avenant 6 à la convention médicale qui fait entrer, enfin, la télémédecine dans le droit commun avec le décret du 15 octobre 2018. Mais l’Etat, qui avait financé les plateformes via les expérimentations, les exclut de ce nouveau champ. Et ce sont les plateformes de prises de rendez-vous médicaux qui vont l’investir.

Arrive ensuite la crise Covid et avec la loi d’urgence sanitaire, l’assurance maladie obligatoire a pris en charge toutes les téléconsultations jusqu’à fin septembre 2022. Donc la télémédecine a progressé pendant le Covid puis freiné en sortie de crise pour se stabiliser aujourd’hui au niveau de 800 000 par mois. Sur ce total, les deux tiers émanent des plateformes de rendez-vous en ligne. Côté médecins, on a environ un tiers des praticiens qui ont adopté la téléconsultation et la majorité d’entre eux a moins de 50 ans. Ce qui n’est d’ailleurs pas une spécificité française, toutes les études par pays montrent le même phénomène. Si on ne change rien, la télémédecine va donc progresser au fur et à mesure du renouvellement de génération avec des jeunes médecins qui l’utilisent plus.

Justement, les déserts médicaux se multiplient alors que la demande de soins augmente. Aussi, au regard de votre expérience, quels freins pourraient être levés pour faciliter le développement de la télémédecine ?

Il y a une résistance aux soins distanciels liés à la formation d’origine. Pour une grande partie des médecins, on ne fait pas de bonne médecine si on n’est pas auprès du patient. A l’inverse, il y a toute une génération pour laquelle la limite de 20% de téléconsultation freine leur pratique et ne leur permet pas, par exemple, de suivre une maladie chronique de façon optimale ou de faire une consultation en distancielle pour éviter au patient d’aller aux urgences. D’autant que d’après une étude de l’Institut Molinari parue l’an passé[1], le développement de la téléconsultation permettrait de réduire les frais de déplacement des patients de plus de 290 millions d’euros et à l’Assurance maladie d’économiser, a minima, 750 millions d’euros par an étude, soit au total 1 mds d’euros.

La formation est donc un levier qui mérite toute notre attention. Il existe un DPC Télémédecine depuis fin 2018, mis en place justement pour que les libéraux se forment à ces nouveaux outils et pratiques. Là encore, on constate qu’il séduit plus de jeunes.  La télémédecine est intégrée depuis cette année dans le cursus des futurs médecins après que Thierry Moulin et moi-même ayons réussi à convaincre la conférence des doyens de l’importance de ce programme.

L’usage de la télémédecine pourrait aussi se développer grâce aux CPTS dont l’accès aux soins est une des missions. La téléconsultation de 1er recours et d’orientation organisée par les CPTS va clairement en ce sens. Elle permet d’apporter des réponses ponctuelles en appui et soutien aux organisations du soin en présentiel

 En tout cas, on voit que le sujet est important pour les patients. Je fais beaucoup de conférences au sein des universités du temps libre. Et je découvre que les personnes présentes, majoritairement des retraités, sont très ouvertes à ces nouvelles formes de prise en charge.           .

Au cœur du débat sur la téléconsultation se pose la question de l’importance et de l’intérêt de l’examen physique systématique. Et La littérature médicale fait état de bonnes pratiques et notamment de la télésémiologie en distanciel. Quel est votre point de vue sur ce sujet ?

Il y a une tradition clinique en France qui fait qu’un médecin se sent obligé de faire un examen clinique complet quel que soit l’objet de la consultation. Or le débat de fond devrait porter sur la perte de chance en fonction de la pratique.

Prenons l’exemple d’une angine, est-il vraiment nécessaire de faire déshabiller le patient et de l’ausculter pour poser le diagnostic. En fait, la réponse est donnée dans les travaux scientifiques et ceci depuis une quarantaine d’années : le diagnostic repose principalement sur l’interrogatoire approfondi du patient. Celui-ci compte pour 70% dans le diagnostic, l’examen physique comptant pour 5% et les examens para-cliniques pour 25%. Ce qui veut dire qu’une téléconsultation qui s’appuie sur l’interrogatoire peut être suffisante. D’autant que les ouvrages sur la télésémiologie montrent que l’utilisation des signes, lors de l’interrogatoire, peut permettre le diagnostic via l’écran.

Il faut évidemment que la téléconsultation soit de qualité et que l’on puisse voir la personne de façon suffisamment importante sur l’écran pour capter tous les signaux non verbaux. La télémédecine peut ainsi s’inspirer de l’approche des psycho-sociologues qui travaillent sur la relation humaine au travers d’un écran. Cette voie pluridisciplinaire initiée dès la création de la Société Française de Télémédecine peut permettre de définir les bonnes pratiques de la téléconsultation quelle que soit sa forme : ponctuelle à l’initiative du patient, programmée et/ou assistée avec le médecin traitant ou même d’orientation vers les urgences ou la consultation présentielle. Attention, cela ne veut pas dire que l’examen physique ne peut pas être nécessaire. A mon sens, la solution pour développer la télémédecine est justement de développer le concept de consultation potentiellement évitable en présentiel et de consultation présentielle nécessaire.

Il y a de la place pour les différentes pratiques à condition de marier présentiel et distanciel et c’est l’avenir.


[1] https://www.institutmolinari.org/2022/01/18/le-recours-a-la-teleconsultation-et-a-la-teleexpertise-quel-impact-economique-attendre-en-france/

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